3 jours seule sans internet
#163 Ou l'histoire d'un adieu, d'un cygne, et d'un début.
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Au programme
Point de départ
Jour 1
Jour 2
Jour 3
Retour
Point de départ
Tout a commencé avec une embrouille.
L’été approche à grand pas, et comme pour beaucoup de couples, la question des vacances s’est posée. Mais voilà, mon amour et moi sommes très différents.
Lui fait partie de ces gens qui adorent les vacances qui commencent à 8h du matin avec canoë le lundi, paddle le mardi, et accrobranche le mercredi. Alors que moi, je fais partie de l’autre catégorie qui aime lézarder toute la journée dans un endroit mi-ombre mi-soleil, sans rien à faire.
L’angoisse mutuelle.
Et me voilà dans le cabinet de ma psy, à me plaindre de ne pas trouver de solution pour mes vacances, à râler sur le fait que j’aimerais bien aller me ressourcer quelque part, mais que mon mec ne semble pas vouloir le faire avec moi, et que oui, je pourrais bien le faire seule, mais que bon quand même, l’idée de me retrouver seule comme ça pendant plusieurs jours, ben ça me fait vachement flipper.
“Vous avez peur qu’il se passe quoi ?” me demande ma psy.
“J’ai peur d’être triste” je lui réponds, et mes yeux se remplissent soudainement de larmes.
Bordel, je ne l’avais pas vu venir. Le deuil est vraiment une maladie étrange. On pense être guéri, et puis tout d’un coup, ça revient.
“Le 21 mai approche… et ça fera bientôt un an… et vous savez, j’ai toujours ses cendres dans mon bureau”, je parviens à lui expliquer entre deux sanglots.
“Peut-être que c’est justement l’occasion. Peut-être que c’est le moment de lui dire au revoir”, elle me glisse.
Mon ventre se retourne rien qu’en entendant ces deux mots. Mais je sais qu’elle a raison. Même si ma tête refuse, tout mon corps me crie que c’est ce que je dois faire.
Alors, en rentrant chez moi ce jour-là, je booke un séjour de 3 nuits dans un hôtel que j’apprécie au milieu de la nature.
Jour 1
9h
Ok, je suis prête. J’ai pris 5 livres, 3 carnets, un maillot de bain (sait-on jamais), les cendres de Lulu, une bougie offerte par une amie le jour de sa mort, et mon appareil photo. Bizarre comme melting-pot quand même. Je me sens comme Tanya dans White Lotus 1 partie en voyage initiatique avec l’urne de sa mère, alors que j’ai toujours détesté ce genre d’histoires.
Ce que je dois faire aujourd’hui ne va pas être gai, mais une fois que ça sera fait, ça ira mieux, et je pourrai passer le reste du séjour à vraiment me relaxer, me ressourcer, et venir avec de nouvelles idées créatives. J’en ai besoin.
J’ai pas mal de sujets que j’aimerais bien faire avancer en plus : la suite de mon Programme Linkedin pour Indépendants, ma prochaine newsletter, un projet client, et puis ma carrière au sens large. Après tout, je n’aurai que ça à faire, que de réfléchir, donc autant partir avec beaucoup d’ambition !
Mon plan est super simple : à 12h, j’active le mode avion, et je ne le réactive pas avant mon retour mardi 12h.
13h20
Voilà. J’ai écrit à ma mère pour la prévenir de mon absence (elle serait capable d’appeler les flics sans réponse de ma part pendant 72h), mon assistante est au courant aussi, et j’ai envoyé un dernier message à mon amour.
Ça fait 1h20min que je suis seule. Enfin, factuellement, je ne suis pas seule. Il y a une bonne vingtaine de clients qui occupent les autres chaises sous cette pergola. Mais disons que ça fait 1h20min que je n’ai personne pour me tenir compagnie, à part moi-même.
Pour l’instant, tout va bien. Je n’ai pas éclaté en sanglots au moment d’enclencher le mode avion. Les gens autour de moi ne me regardent pas bizarrement (et pourtant je suis la seule personne seule dans cet hôtel de luxe. Moi-même je me regarderai un peu bizarrement). Tout va bien.
19h10
Ça y est, le plus dur est passé. J’ai écrit une lettre d’adieu, j’en ai fait un petit bateau que j’ai laissé voguer sur un étang, et j’ai trouvé un arbre aux feuilles couleur prune sous lequel laisser reposer Lulu.
Franchement, ce n’était pas du tout aussi cinématique que ce que je m’étais imaginé. Déjà, je ne sais pas si vous avez vu beaucoup de cendres, et je ne sais pas si toutes les cendres se ressemblent, mais en tout cas les cendres de mon chat ressemblaient plutôt à du sable qu’à des cendres. Et puis, il a fallu que je fasse vite, parce que l’arbre que j’ai choisi n’est pas très éloigné du château principal, et donc à la vue de beaucoup de passants. Bref, le plus dur est passé.
Enfin, c’est ce que je pensais.
Là, je viens de passer la porte du restaurant de l’hôtel et je trouve qu’il est beaucoup trop rempli de couples et de familles pour me retrouver à dîner toute seule au milieu. D’horribles souvenirs d’ado au réfectoire me reviennent en mémoire.
“Mme Alavès ?”. Le serveur me regarde avec un sourire franc.
Je lui réponds avec un simple hochement de tête et le suis. J’espère vraiment qu’il ne va pas me placer en plein milieu de la salle.
“Et voilà !”
Le serveur s’arrête devant une table dans un coin de la salle, juste à côté de la fenêtre. Par-fait. Dieu existe peut-être vraiment après tout.
Jour 2
12h30
Ça fait 24h que je suis seule et déconnectée, et je dois dire que je m’en sors plutôt bien. Au final, même les repas se passent plus facilement que ce que j’avais craint. Je me pose avec mon livre et mes écouteurs, je regarde dehors, et ça passe. D’ailleurs, j’ai déjà eu le temps de finir Les Secrets de la Femme de Ménage, lire une bonne cinquantaine de pages de Harry Potter 3, et commencé The Creative Brain.
16h10
Je retire tout ce que j’ai dit. Partir seule sans internet pendant 3 jours était vraiment une idée de merde.
Ça fait bien 30min que je suis assise là, par terre, au milieu de ma chambre adossée sur le rebord du lit. J’en ai marre de lire et d’écrire. Mais je n’ai rien d’autre à faire.
En plus, il fait moche. Mais vous me direz, je ne sais pas si ça changerait grand-chose s’il faisait beau. Certes, je pourrais aller me balader, mais je me ferais tout aussi chier, à la seule différence que je me ferais chier en marchant.
Je reste plantée là à regarder dehors. Mes paupières commencent à se faire lourdes et je sens la fatigue s’installer. Ça ne devrait pas être le moment où j’ai une épiphanie là ? Le moment où je me motive à travailler sur une newsletter, mon Programme Linkedin pour Indépendants, ou encore mon projet client ? Pourquoi je n’ai pas d’idée de génie qui me tombe du ciel ?
Je suis en train de perdre du temps précieux.
22h
L’avantage quand on est seule dans un lit pensé pour deux, c’est qu’on a une multitude de coussins à disposition. J’en prends un troisième pour le caler derrière ma tête. Wow. Je suis au max dans ce lit King Size.
Bon, faisons le point.
Je n’ai pas fait grand-chose. Je n’ai pas eu d’idée de génie, et j’ai l’impression de passer à côté de mon objectif de créativité.
Mais, j’en ai aussi profité pour faire plein de jolies photos (enfin jolies selon moi) des fleurs, des mouvements des herbes hautes au gré du vent, des éléments de décoration dans l’hôtel, et ça m’a fait beaucoup de bien.
Jour 3
11h40
Après avoir passé la matinée au spa, je suis allée me poser un peu à la piscine. L’avantage de rester dans un hôtel un lundi, c’est qu’il n’y a pas grand monde, et là on dirait que j’ai privatisé la piscine.
Mon Dieu. Qu’est-ce que je suis incroyablement bien là ! Le soleil réchauffe ma peau, j’entends les oiseaux chanter leurs louanges et les feuilles des arbres frissonner au doux passage du vent.
J’ai changé d’avis. Partir toute seule était la meilleure idée que j’ai eue depuis longtemps, et j’aurai dû partir au moins une semaine.
23h
La journée est passée si vite. Alors qu’hier elle est passée si lentement. Comme quoi, le temps est vraiment une question de perception.
Je n’ai pas écrit ma newsletter, ni de post LinkedIn, ni travaillé sur quoi que ce soit des sujets que je voulais faire avancer.
Mais j’ai fait un bouquet de fleurs alors que je n’avais pas fait ça depuis des années. J’ai pris beaucoup de photos, observé le cygne noir qui se balade d’un étang à l’autre, scruté les hannetons sur les pâquerettes, et appris ce qu’était une jachère fleurie grâce au réceptionniste.
Pour moi qui ai trop souvent la tête soit dans le futur, soit dans le passé, aujourd’hui j’étais dans le présent. Je referme mon livre et m’allonge tranquillement pour regarder la flamme de ma bougie vaciller. Elle arrive à sa fin.
J’étais loin de m’imaginer ce qu’il allait se passer le lendemain.
Retour
Je suis dans le train du retour, et l’idée de désactiver le mode avion m’angoisse plus qu’autre chose, alors je gratte encore quelques minutes de tranquillité.
Je reste simplement là, confortablement installée dans mon siège, à contempler les arbres défiler par la fenêtre.
Et puis, une idée commence à germer dans mon esprit. Des idées d’histoires et de personnages, j’en ai souvent. Mais là, pour la première fois, je zoome dedans.
Le train est arrivé à Paris sans même que je m’en sois rendu compte.
À peine rentrée, j’ai filé à la petite boutique de carnets à côté de chez moi, acheté un nouveau Leuchtturm, collé une étiquette, et écrit simplement : “Une vraie fausse amie (Notes 1)”. Les prémisses d’un projet de roman.
Finalement, je l’ai eu mon idée créative.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui ❤️.
Maud
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